Hélène Flautre : « Les Etats-membres réduisent la politique migratoire européenne à une vision sécuritaire »

8 décembre 2010
L’agence Frontex coordonne depuis 2004 les opérations de plusieurs Etats-membres en matière de surveillance des frontières et de retours groupés des étrangers en situation « irrégulière ». La Commission européenne propose de renforcer les moyens opérationnels de cette structure… sans pour autant donner de garanties effectives pour les droits de l’Homme. Pour y remédier, le groupe des Verts/ALE publie une étude réalisée par le réseau Migreurop, sous la direction d’Hélène Flautre, avec Barbara Lochbilher et Franziska Keller.
Qui connait Frontex ? En toute discrétion, l’agence européenne aux frontières extérieures de l’UE est devenue un « acteur clé » dans le déploiement des politiques européennes d’asile et d’immigration. Cette année, la révision de son mandat est sur la table des négociations. La Commission européenne propose de renforcer ses compétences, son pouvoir d’initiative et le soutien financier apporté par les Etats-membres. De nouvelles prérogatives qui font peser de sérieuses inquiétudes pour les droits fondamentaux, comme le dénonce Hélène Flautre, eurodéputée Europe Écologie, membre de la Commission des libertés civiles. Dans ce contexte, l’étude intitulée « Agence Frontex : quelles garanties pour les droits de l’Homme ? » a pour but de mettre les Etats-membres face à leurs obligations, mais aussi d’aider les décideurs et les citoyens à prendre conscience des enjeux relatifs aux droits de l’Homme.

Quelles menaces représente la refonte du mandat de Frontex ?

De nombreux témoignages font état de violations des droits fondamentaux des migrants lors des opérations de l’agence Frontex. Ma préoccupation principale aujourd’hui, c’est donc que ce nouveau mandat offre des garanties effectives en matière de droits humains et de respect du droit international. Pour nous faire entendre, nous avons commandité une étude indépendante. Elle a été réalisée par les membres du réseau Migreurop qui regroupe une quarantaine d’associations européennes et africaines. L’objectif de ce travail est d’insister sur les enjeux humains des mécanismes de contrôle migratoire. Les décideurs doivent prendre conscience qu’on parle d’hommes et des femmes protégées par des Conventions et des traités internationaux.

L’Article 33 de la Convention de Genève sur les réfugiés le dit très clairement : « Aucun Etats contractants n’expulsera ou ne refoulera un réfugié dont la vie serait menacée en raison de sa race, de sa religion, de sa nationalité… » Le principe de non refoulement a été mis à mal à plusieurs occasions dans le passé comme l’a démontré l’ONG Human rights watch. En juin 2009, elle publiait des informations sur une opération en Mer méditerranée : les garde-côtes italiens assistés d’un hélicoptère allemand ont intercepté et raccompagné 75 migrants dans un « boat-people » qui tentaient d’atteindre Lampedusa. On les a renvoyés à Tripoli, où une unité militaire libyenne les a accueillis. Est-ce comme cela qu’on traite des humains qui tentent d’échapper à une dictature qui viole en toute impunité les droits des personnes ?

Comment obtenir des garanties en matière de droits humains ?

La Commission européenne ne doit pas céder aux pressions des Etats-membres qui ne cessent de réduire la politique migratoire européenne à une vision sécuritaire et rétrograde. Malheureusement, on négocie déjà des charters de migrants qui seraient, demain, « parrainés » par Frontex… Pour les écologistes, une politique d’immigration et d’asile doit être basée sur le respect des droits fondamentaux et les valeurs communes de l’Union européenne. Et les outils sont désormais disponibles pour faire entendre cela. Avec l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne, la Charte des droits fondamentaux a acquis une valeur juridique contraignante : cela signifie que Frontex pourrait être amené à répondre de ses actes devant la Cour de Justice de l’UE. Le rôle du Parlement européen a été également renforcé. Il sera plus présent dans les domaines liés à la gestion de l’immigration, au sein d’un système de co-décision. Nous nous battrons pour instaurer un contrôle démocratique sur les activités de l’agence Frontex.

Pour le moment, qui contrôle les opérations mises en œuvre par l’agence ?

De nombreuses zones d’ombre entourent son fonctionnement. En réalité, son cadre juridique entretient un flou entre indépendance et contrôle… et cela aboutit à la dilution des responsabilités. On ne peut pas décider d’augmenter les moyens financiers de cette agence et son autonomie, sans avoir répondu à la question basique de « qui décide » ? Coopération inter-étatique ou intégration ? Soit ce sont les Etats-membres qui tranchent, soit cette agence est réellement indépendante et juridiquement autonome. Nous sommes dans un « entre-deux » néfaste. En matière d’immigration, cette schizophrénie européenne a des conséquences dramatiques sur la vie de nombreux être humains. Il faut remédier à cela.

Agence Frontex : quelles garanties pour les droits de l’Homme ? (pdf 1.92Mo)

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