La crise ne doit pas servir de prétexte à déréguler la finance

Pour faire face à la crise due à la pandémie de COVID-19, c’est l’économie réelle – c’est-à-dire l’activité économique concrète, la production et la consommation de biens et de services – qui doit être soutenue en urgence. Or, depuis le début de cette crise, la Commission européenne propose des “règlements rapides”, c’est-à-dire des modifications par procédure simplifiée, pour soutenir en priorité le secteur bancaire et le secteur financier.

Après le “règlement rapide” sur le secteur bancaire de juin 2020, la Commission européenne propose cette fois d’assouplir, et donc d’affaiblir, la réglementation des marchés d’instruments financiers. Or, cette réglementation, mise en place depuis la crise financière de 2008, permettait de limiter la spéculation sur les produits financiers (produits dérivés) basés sur les matières premières, tels que les denrées alimentaires et l’énergie.

Que propose la Commission européenne ?

Une dérégulation financière dangereuse pour les marchés des denrées alimentaires et de l’énergie.

Elle propose de modifier la directive sur les marchés d’instruments financiers (MiFID II, en anglais) et, notamment, de revoir les règles relatives aux “limites de position” (voir encadré). Concrètement, la Commission veut réduire le champ d’application de ces règles, en créant une exception pour les produits financiers dérivés de matières premières tels que l’énergie. 

Il est important de préciser d’emblée que les “limites de position” actuellement en vigueur ne sont pas suffisamment strictes : les seuils appliqués sont bien trop élevés pour permettre de limiter efficacement la spéculation excessive. Ce que les écologistes proposent, ce serait de renforcer ces règles au lieu de les assouplir ! 

 

Les règles sur les “limites de position” dans la finance, qu’est ce que c’est ?

Comme leur nom l’indique, ces règles fixent des limites aux positions qu’un trader ou un groupe de traders peuvent détenir sur les marchés de dérivés de matières premières. Ces règles permettent d’imposer aux acteurs financiers un plafond sur le nombre de contrats passés sur une matière première donnée dans un temps donné. Le but de ces règles est de réduire les possibilités de spéculation sur les prix des denrées alimentaires ainsi que sur d’autres produits de base tels que le pétrole, le coton, les métaux, etc.

 

Quel est le problème avec ce “règlement rapide” ?

Un problème de fond

Quel est le lien entre la lutte contre la crise économique et le fait d’assouplir la réglementation financière ? Aucun !

Au contraire, une dérégulation financière aura un impact direct sur les marchés des produits dérivés et, indirectement, sur le prix des denrées alimentaires et de l’énergie. Bien sûr, la Commission européenne affirme que ces changements sont soigneusement calibrés et ne s’appliqueront pas aux produits dérivés de matières premières agricoles, c’est-à-dire aux denrées alimentaires destinées à la consommation humaine. Il est vrai que les denrées agricoles de base sont encore couvertes par les règles initiales, mais, en réalité, la spéculation sur les prix de l’énergie a un impact considérable sur les prix des denrées alimentaires. Par conséquent, les prix des denrées alimentaires, des aliments pour animaux et de l’énergie sont fortement corrélés. 

Par ailleurs, toute augmentation du prix de l’alimentation et de l’énergie aura inévitablement des conséquences immédiates sur la pauvreté. L’adoption de ces modifications de la directive MiFID II déverrouillera les garanties apportées suite à la crise financière de 2008 et à la crise mondiale des prix alimentaires qui avait entraîné des millions de personnes dans la faim et la pauvreté entre 2009 et 2011. Ces garanties sont pourtant basées sur des engagements internationaux pris par l’Union européenne au sein du G20.

Dès lors, la modification de la directive “MiFID II” nous apparaît comme une  nouvelle tentative de la Commission d’affaiblir, sous la pression des lobbies et sous prétexte d’aider la reprise économique au sortir de la pandémie Covid-19, des dispositions adoptées après la crise financière pour réguler les marchés financiers, limiter la spéculation et protéger les consommateurs et les consommatrices. 

Un problème de débat démocratique

Nous considérons que de tels changements de fond dans la réglementation financière  ne devraient pas avoir lieu dans le cadre d’un “règlement rapide”, sans une évaluation d’impact préalable et un débat informé entre les décideurs et les parties prenantes (experts, autorités bancaires européenne, lobbies de la finance, ONG…). Le calendrier accéléré demandé par la Commission européenne et le rapporteur parlementaire du Parti populaire européen (PPE – le groupe dans lequel siègent les député·e·s européen·ne·s Les républicains) ont laissé moins de marge de manœuvre aux législateurs pour examiner une proposition législative très complexe. C’est d’autant plus injustifié qu’une révision normale du cadre juridique de la directive MiFID était prévue dans la deuxième partie de 2021.

Mardi 24 novembre, une majorité de parlementaires européens a donc voté contre à 347 voix (283 votes pour et 70 abstentions) l’amendement déposé par les groupes Verts/ALE et S&D (Alliance progressiste des socialistes et démocrates – le groupe dans lequel siègent les député·e·s européen·ne·s du Parti socialiste) pour limiter la spéculation financière sur les matières premières. 

Une majorité de parlementaires européens a donc voté pour encourager la spéculation financière, en pleine crise économique. C’est le groupe Renew Europe (le groupe dans lequel siègent les député·e·s européen·ne·s de La République en marche) qui a fait la différence en votant massivement avec les conservateurs en faveur de la dérégulation financière. Mercredi 25 novembre, le vote a confirmé cette alliance des libéraux et des conservateurs avec un vote à  361 voix pour,  156 contre et 179 abstentions.

 

Quelques définitions

Marchés d’instruments financiers

Ce sont l’ensemble des transactions qui ont lieu dans les Bourses, en ligne ou en direct, entre les banques, les fonds d’investissement, les intermédiaires financiers, les émetteurs de titres, et leurs clients.

Pour aller plus loin

Produits financiers

Les « produits » ou « instruments » financiers sont les contrats qui peuvent se négocier sur les marchés financiers (actions, obligations, devises, etc.).

Produits dérivés

Un produit dérivé est un produit financier complexe donc la valeur fluctue en fonction de l’évolution du taux ou du prix d’un autre produit appelé sous-jacent. Les produits dérivés donnent le droit d’acheter ou de vendre le sous-jacent à un prix défini à l’avance. 

Positions

La quantité d’un titre financier détenue ou empruntée par quelqu’un.

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