Europacity : non à l’artificialisation de ces terres parmi les plus fertiles d’Europe

Nous avons écrit au Premier Ministre Édouard Philippe afin d’attirer son attention sur l’avenir du Triangle de Gonesse, terrain agricole de 280 hectares, menacé par le projet de centre commercial et de loisir Europacity.

Bruxelles, le 10 octobre 2019

Monsieur le Premier Ministre,

Nous nous permettons d’attirer votre attention, en notre qualité de député.es européen.nes écologistes, sur le projet de centre commercial et de loisir Europacity, et sur l’avenir du Triangle de Gonesse, terrain agricole de 280 hectares.

Vous l’avez déclaré à l’ouverture de la Convention citoyenne pour le climat, « les attentes de nos concitoyen·ne·s sur la question de l’écologie sont immenses », nous nous en félicitons et nous le partageons. Mais ce ne sont pas seulement les attentes de nos concitoyen·ne·s qui sont en jeu mais aussi notre rapport au monde scientifique qui ne cesse de nous alerter sur les conséquences désastreuses de la dégradation de notre environnement. Pour défendre le vivant, ces mots ne peuvent rester lettre morte.

La science, au travers de la Plateforme intergouvernementale sur la biodiversité et les services écosystémiques (Ipbes) ou l’Observatoire national de la biodiversité, nous appelle à lutter férocement contre l’artificialisation des sols, pour porter un modèle agricole biologique, paysan et local, protéger la biodiversité, et limiter au maximum le changement climatique et ses conséquences. Selon les derniers chiffres disponibles, 9,7% du territoire métropolitain est aujourd’hui artificialisé contre 8,3% en 2006. Chaque année, nous bétonnons 65.800 hectares de terres naturelles et agricoles. Les premiers terrains touchés sont les terres agricoles (2/3 des espaces grignotés) du fait de l’extension des zones périurbaines et du développement des réseaux de transports concomitant. Selon les estimations de l’Institut du Développement Durable et des Relations Internationales (Iddri), si la France continue sur ce rythme, 18 % de son territoire sera artificialisé d’ici la fin du siècle et les conséquences sont bien plus néfastes que l’on ne peut l’imaginer. Il s’agirait tout d’abord d’une perte d’autonomie alimentaire pour notre pays, dans une période où nous défendons une refonte de notre modèle alimentaire. Selon un rapport du Sénat publié cette année, la France connaîtra son premier déficit commercial agricole en 2023. Au-delà de ce problème essentiel de souveraineté agricole et alimentaire, il est indispensable de rappeler que les terres agricoles permettent aussi de capter le carbone mais également l’eau qui recharge les nappes phréatiques empêchant ainsi les inondations que la bétonisation favorise. Mieux, la transpiration des terres permet de rafraîchir la température de l’air, une fonction plus cruciale que jamais contre le réchauffement climatique. Les terres agricoles peuvent aussi être un réservoir de biodiversité, nécessaires au maintien d’un patrimoine commun en constante érosion.

Dans son « plan biodiversité » présenté en juillet 2018 le Président de la République promeut l’objectif « zéro artificialisation nette », en s’inspirant du dernier rapport de l’Ipbes de 2018, et c’est une bonne idée. Il est pourtant essentiel de rappeler que la destruction de terres agricoles parmi les plus fertiles d’Europe ne peut être compensée par la réhabilitation de terres de qualité inférieure. C’est d’autant plus vrai pour le projet EuropaCity situé dans la région la plus densément peuplée de notre pays. Avec des rendements annuels pouvant atteindre 90 quintaux l’hectare, ces terres sont parmi les plus fertiles d’Europe. Elles sont assises sur plus de 2 mètres de limons fertiles accumulés depuis des dizaines de milliers d’années : une telle épaisseur permet au végétal de trouver de l’eau en profondeur, même en plein été. Sur le Triangle de Gonesse, les agricultrices et agriculteurs n’ont pas besoin d’arroser le maïs. Une prouesse qu’aimeraient connaître de nombreux agriculteurs et agricultrices en manque d’eau, mais dont les terres n’ont pas les mêmes qualités millénaires.

Certain·e·s d’entre nous ont participé à la marche organisée par les citoyennes et citoyens opposé·e·s au projet EuropaCity la fin de semaine dernière, et leurs attentes sont immenses et très concrètes. Ils nous ont fait part de votre refus de rencontrer leur délégation à Matignon, et nous le regrettons. C’est pourquoi nous nous permettons de nous faire le relais de leurs inquiétudes et de leurs demandes, que nous partageons. Nous vous prions de respecter leur demande de moratoire concernant les travaux de la gare du Triangle de Gonesse alors que la société du Grand Paris a la volonté de précipiter les travaux préalables à la construction de la gare intégrée à la ligne 17 du métro du Grand Paris Express. Ce n’est pas d’une gare dont les citoyennes et citoyens ont besoin mais de terres qui préservent la biodiversité, qui participent à la régulation de la température, qui permettent de nourrir la population. Comme le démontre le projet CARMA (Coopération pour une Ambition agricole, Rurale et Métropolitaine d’Avenir) qu’ils portent, la production agricole locale est une nécessité que l’État doit encourager dans l’intérêt des Franciliennes et Franciliens. C’est le vrai projet de territoire que nous devons porter pour le Triangle de Gonesse ; et non un énième centre commercial qui ne fera qu’aspirer les emplois des petits commerces et artisans alentours, mais également des autres centre commerciaux voisins, déjà en sursis. Pour cette raison et celles que nous avançons, il est urgent d’organiser une concertation mettant autour de la table les différents acteurs du territoire, bien au-delà des limites du département du Val d’Oise. Ce projet n’est pas départemental, il est au minimum régional.

Comme dans bien d’autres domaines, votre responsabilité est immense. Et elle est d’autant plus grande ici que ce projet ne verra pas le jour sans le concours de l’État français, en charge de l’aménagement de la ZAC du Triangle de Gonesse.

Nous vous remercions de l’attention que vous porterez à ce courrier et vous appelons à agir dans l’intérêt stratégique et à long terme de notre pays et de ses citoyen·ne·s.

Veuillez agréer Monsieur le Premier Ministre, l’expression de notre haute considération.

Les député.e.s écologistes au Parlement européen
François Alfonsi
Benoît Biteau
Damien Carême
David Cormand
Gwendoline Delbos-Corfield
Karima Delli
Yannick Jadot
Michèle Rivasi
Caroline Roose
Mounir Satouri
Marie Toussaint
Salima Yenbou

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4 commentaires

  • Michel Isambert dit:
     - 

    Bravo pour cette lettre au premier ministre.
    Permettez-moi de modifier l’historique des dépôts éoliens dans lesquels se développent les sols actuels parmi effectivement les meilleurs de l’Europe et de la Planète.
    Ces dépôts n’ont pas des millions d’années (ils seraient alors beaucoup moins fertiles !) : ce sont les vents violents de la dernière glaciation (durant laquelle la température moyenne annuelle sur la Plaine de France était de l’ordre de 5°C plus basse que l’actuelle !) qui ont alimenté le Nord du Bassin Parisien en limons éoliens depuis les moraines et glaciers du Nord de l’Europe. Cette dernière glaciation s’est étalée sur 60 000 ans et le réchauffement naturellement lent du climat date de 12 000 ans seulement. Ces sols résultent de l’action du Climat tempéré (température et Précipitations principalement) favorable à la Biodiversité depuis environ ces 12 000 ans et ils sont en encore adolescents et donc potentiellement encore très riche durant plusieurs milliers d’années si on les respecte aujourd’hui. Le problème est le même sur les plateaux de Saclay, Trappe, Palaiseau, le nord de la Beauce, et partie de la Brie.
    Cela fait apparemment beaucoup de surface de sols très fertiles, localement. Mais à l’échelle de la France, de l’Europe et de la Planète, ces surfaces sont très faibles et nous sommes responsables de leur préservation : nous n’en sommes que les gérants « en bons parents et en bons voisins » surtout si nous tentons d’être un peu écologiques !
    Michel Isambert Pédologue, retraité de l’INRA, cartographe des sols dans ce secteur géographique

  • Christine B. dit:
     - 

    Bravo pour votre courrier, avec les petits ajustements pédologiques faits dans le commentaire précédent, il serait parfait… Pourquoi pas en faire une lettre ouverte, publiable dans la presse ? En insistant sur la vulnérabilité de l’approvisionnement alimentaire des franciliens.
    Il n’est pas sûr qu’on puisse défendre la biodiversité sauvage sur les terrains agricoles de Gonesse tels qu’ils sont cultivés actuellement (?)… Mais il n’empêche qu’on ne peut pas continuer ainsi à bétonner ou goudronner les meilleures terres agricoles du pays, sans parler de la mégalomanie du projet.

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