Hélène Flautre : « L’Europe a besoin de la Turquie pour lutter contre le repli sur soi »

10 novembre 2010
Cinq ans après leur lancement, les négociations entre l’Union européenne et la Turquie sont à l’arrêt. La Turquie traverse pourtant une transformation politique profonde et discute de sa nouvelle constitution. Etats des lieux avec Hélène Flautre, députée européenne, présidente de la délégation UE-Turquie.
Les relations euro-turques traversent un moment aussi difficile que décisif. Lors de deux journées de conférence à Istanbul, le groupe des Verts au Parlement européen a tenté de définir un cadre d’actions et de priorités politiques pour faire avancer le processus d’adhésion, main dans la main avec la société civile et des élus turques. Il y a maintenant cinq ans que les Etats-membres de l’Union européenne ont engagé des négociations avec la Turquie. A plusieurs reprises, ils lui ont répété qu’elle avait vocation à entrer dans l’Union, dès qu’elle se sera dotée d’une constitution démocratique et aura rempli les critères d’adhésion. Pourtant, en cinq ans, seulement treize chapitres des négociations sur trente-cinq ont été ouverts. Douze chapitres sont bloqués en raison du problème de Chypre. La France, pour des raisons de politique intérieure, empêche également l’ouverture de cinq chapitres.

Entretien.

Quel est l’état des relations entre l’UE et la Turquie ?

Les malentendus et l’instrumentalisation de ces relations sont en passe de prendre le pas sur l’envie d’avancer ensemble. Il ne s’agit pas là d’une surprise, mais deux journées de rencontres et de débats permettent de matérialiser la profondeur du malaise. Le mépris de certains dirigeants européens et le manque d’ambition politique des institutions a, sans qu’on y prenne garde au fil du temps, creusé le sillon entre une EU vieillissante et supposée riche et une Turquie jeune et en plein développement. Si l’adhésion à l’UE reste une priorité pour les Turcs, peut-être n’est elle plus exclusive ? Les discours semblent usés et le manque de volontarisme politique en Europe, incarné par Sarkozy et Merkel, a érodé la motivation de la société turque. Une société qui prend conscience des atouts de son pays, économiquement fort, géo stratégiquement incontournable et de plus en plus audible sur la scène internationale.


par EurodeputesEE

Pensez-vous que l’UE saura poursuivre le processus et dépasser cette période de stagnation ?

Elle n’a pas le choix. Les questions soulevées par l’adhésion de la Turquie sont symptomatiques d’une Union européenne qui doute d’elle-même et manque de repère. Cet élargissement cristallise les thèmes fondamentaux de l’identité, du dialogue de cultures, de la définition du projet européen, de son rôle et de sa place dans le monde de demain. Mais nous, écologistes, sommes convaincus que l’Union européenne a besoin de la société turque pour avancer vers l’avenir, et surtout lutter contre le nationalisme et le repli sur soi. L’accueillir, c’est dire oui au multiculturalisme. Malheureusement, la période actuelle n’est pas propice à cette ouverture : on voit des chefs d’Etat remettre en cause des politiques communes, comme l’élargissement. Ils tentent de re-nationaliser des enjeux communautaires comme la Politique agricole commune (PAC) ou encore le concept de citoyenneté européenne. Ce tournant est dangereux : soit l’UE se transcende et parvient à se dépasser, soit elle régresse au profit de l’échelon national. Mais si l’Europe questionne l’adhésion de la Turquie, la Turquie, aussi, questionne son envie de faire partie d’une UE en manque de perspective !

L’UE est-elle toujours attractive dans l’opinion publique turque ?

La société turque est en pleine ébullition et d’un dynamisme économique, culturel et intellectuel impressionnant. Mais c’est aussi une société toujours en attente de standards européens et avide de changements démocratiques. Ces dix dernières années, la Turquie a connu un processus de démocratisation en profondeur qui s’est notamment accompagné de réformes constitutionnelles importantes. Si elles restent controversées dans le champ politique turc, et notamment décriées par le CHP [principal parti de l’opposition, social-démocrate et laïque] méfiant à l’égard des intentions de l’AKP [le parti islamo-conservateur au pouvoir], elles doivent désormais s’incarner législativement. C’est tout l’enjeu d’une nouvelle constitution civile appelée unanimement de nos vœux et qui devra, entre autres, consacrer une définition non ethno confessionnelle de la citoyenneté.

Avez-vous débattu de la question des droits de l’homme et de la liberté de la presse ?

La Turquie rencontre des difficultés pour s’approprier un processus démocratique. La capacité du gouvernement à consulter et impliquer toutes les sphères politiques et civiles de la société dans l’élaboration de cette nouvelle constitution reste à prouver. Ce constat a été également établi et partagé. La régression de la liberté de la presse a notamment été largement décriée. Paradoxalement, lors de nos débats, la réponse de nos interlocuteurs turcs a été plutôt enthousiasmante puisqu’ils ont massivement interpellé l’UE pour qu’elle fasse plus. Sur l’état de droit, le respect des droits de l’Homme, la politique sociale, la question kurde, la lutte contre le terrorisme, l’énergie ou encore la politique étrangère, la société turque réclame une implication renouvelée de l’UE.

– Lire la rubrique Turquie de la page personnelle d’Hélène Flautre.
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