La charité n’est pas la solution pour remédier à l’inégalité mondiale de l’accès aux vaccins contre le Covid

Lettre ouverte au président de la République française.

Monsieur le président de la République,

La semaine dernière, à l’occasion du G7, vous avez tenu à dénoncer l’inégalité entre pays riches et pauvres dans l’accès aux vaccins. Cette inégalité est bien réelle. Alors que l’Union européenne a commencé à administrer une partie des 2,6 milliards de doses qu’elle a réservé, 130 pays, totalisant 2,5 milliards de personnes, n’ont toujours pas administré une seule dose selon l’OMS. Et ceux des pays les plus pauvres qui peuvent se le permettre sont obligés de payer plus cher les doses des vaccins que les pays occidentaux.
Vous avez raison, M. le Président, de qualifier cette situation « d’intolérable », mais permettez-nous de vous dire qu’elle n’est pas « inexplicable ».

Les pays riches, l’Europe y compris, ont sécurisé l’essentiel de la capacité de production actuelle des vaccins disponibles via les accords bilatéraux, ignorant, dès le début, l’appel de la communauté scientifique à mutualiser les connaissances, la propriété intellectuelle et les données liées à la technologie de la santé COVID-19 afin de faire des vaccins anti-Covid un bien commun pour l’humanité. Si cela a permis aux Européens d’accéder plus vite aux vaccins, depuis, l’émergence de nouveaux variants vient nous rappeler que personne n’est protégé tant que tout le monde n’est pas protégé. Dès lors, la santé de nos concitoyens et de nos concitoyennes dépend de la rapidité avec laquelle le reste du monde sera vacciné.
Or, pour l’instant, aucune action significative n’a été annoncée pour permettre un accès aux vaccins pour tous les pays du monde. L’Union européenne s’est, pour l’instant, contentée de contribuer au dispositif international de distribution des vaccins, COVAX. Or, malgré le doublement de sa contribution, nous sommes très loin de ce qu’il est nécessaire pour assurer la sécurité sanitaire de tous et toutes.

Cette approche n’est pas seulement problématique sur le plan éthique et moral, elle l’est aussi sur le plan épidémiologique : plusieurs études scientifiques ont montré qu’à ce rythme, les pays les plus pauvres n’atteindront pas l’immunité collective avant 2024. Nous ne serions donc pas à l’abri des nouveaux variants, quand bien même la totalité de la population européenne serait vaccinée. Nos destins sanitaires sont liés, M. le Président : le monde n’a pas besoin de notre charité, mais d’actions concrètes pour démultiplier la production de vaccins, aussi bien chez nous que partout où il est possible d’en produire pour l’ensemble de l’humanité.

Pour commencer, l’Europe doit immédiatement lever son veto à la proposition de l’Afrique du Sud et de l’Inde de mettre en place une dérogation temporaire à certaines règles de l’OMC portant sur les brevets, secrets commerciaux, droits d’auteur, dessins et modèles industriels pour permettre l’endiguement, la prévention et le traitement de la COVID-19.
Soutenu par plus de 100 pays, les Nations Unies et des organisations intergouvernementales, cette proposition est bloquée actuellement au sein de l’OMC par une poignée des pays riches – l’Union européenne, le Royaume-Uni, les États-Unis, le Canada, le Japon et d’autres. Et ce, alors que cette proposition raisonnable permet pourtant des compensations pour les laboratoires pharmaceutiques.

Avec une centaine de parlementaires européen·ne·s, nous venons de lancer un appel trans-partisan pour demander à l’Union européenne de lever son veto au Conseil général de l’OMC qui se tient les 1er et le 2 mars prochain.

Nous sommes convaincu·e·s, M. le Président, que la France peut convaincre ses partenaires d’appuyer cette demande, de faire ce qui est juste et évident d’un point de vue épidémiologique, d’autant plus que d’autres pays y sont favorables, notamment les Pays-Bas.
Naturellement, lever les barrières légales et commerciales ne suffira pas pour remédier au « goulot d’étranglement » dans la production de vaccins au niveau mondial. Mais c’est un premier pas face à ce défi immense qui est devant nous. Nous n’avons plus le temps d’attendre que les laboratoires développent eux-mêmes des partenariats pour augmenter leurs capacités de production.

Compte tenu de l’énorme investissement d’argent public européen dans la recherche qui a contribué à la mise au point des vaccins anti-Covid, l’Europe a les moyens de contraindre l’industrie pharmaceutique à partager les technologies et le savoir-faire, par exemple, au sein de la plateforme internationale de l’OMS C-TAP, afin de permettre au plus vite une production à la mesure de l’urgence sanitaire. Une production qui répondra aux besoins de la population mondiale et qui ne dépendra pas d’une poignée de firmes.
Monsieur le Président, au lieu de mettre des milliards d’euros dans la charité, l’Europe doit soutenir de toute urgence ce partage de technologie ainsi que la massification des capacités de production. Les technologies et le savoir-faire des laboratoires pharmaceutiques, acquis grâce à l’argent public, ne sont pas leur propriété, ils appartiennent à chacune et à chacun de nous, à l’humanité.

Agissons, ensemble, pour une vraie solidarité mondiale en jetant les bases d’un système multilatéral de coopération pour faire face à la situation sanitaire que nous vivons… et être fin prêts pour lutter contre les pandémies à venir.

David Cormand et Michèle Rivasi
Co-président·e·s

Délégation Europe écologie : François Alfonsi, Benoît Biteau, Damien Carême, David Cormand, Gwendoline Delbos-Corfield, Karima Delli, Claude Gruffat, Yannick Jadot, Michèle Rivasi, Caroline Roose, Mounir Satouri, Marie Toussaint, Salima Yenbou.

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