Pour une véritable transparence fiscale
La délégation Europe écologie a écrit à Bruno Lemaire, Olivier Dussopt et Agnès Pannier-Runacher pour leur demander d’adopter une position ambitieuse sur la directive de transparence fiscale pays par pays.
Madame, Messieurs les ministres,
Nous vous écrivons au sujet des négociations qui s’ouvrent entre le Conseil et le Parlement européen sur la directive européenne en matière de communication, par certaines entreprises et succursales, d’informations relatives à l’impôt sur les bénéfices (country by country reporting, CBCR).
À l’heure où l’Europe et le monde traversent une crise sanitaire, économique et sociale sans précédent, cette proposition législative visant à renforcer la transparence fiscale est de la plus haute importance. Aujourd’hui, plus que jamais, il est impératif de veiller à ce que les caisses publiques ne soient pas privées de milliards d’euros du seul fait de l’évasion fiscale pratiquée par de nombreuses multinationales. Il est prioritaire de récupérer cette immense manne fiscale qui nous échappe en mettant en place des dispositifs législatifs volontaristes et efficaces, plutôt que d’envisager d’énièmes réformes structurelles qui risqueraient d’altérer le bien commun que constituent les services publics. La directive européenne en cours de négociations est, à cet égard, un prérequis. La transparence est, en effet, indispensable si l’on veut pouvoir vérifier que chaque multinationale paye sa juste part d’impôts dans chaque pays. C’est une exigence de solidarité autant que de justice.
Les dernières recherches de l’ONG Tax Justice Network montrent, qu’à l’échelle mondiale, 358 milliards d’euros d’impôts sont perdus chaque année dans les paradis fiscaux, dont 205 milliards directement en raison des abus fiscaux des multinationales. Cette étude, comme les scandales fiscaux à répétition, montre bien que de nombreuses grandes entreprises continuent à dissimuler leurs lieux réels d’activité dans le but d’échapper à l’impôt.
La directive en faveur d’un reporting public et obligatoire s’avérerait extrêmement efficace puisqu’elle fournirait aux citoyen·ne·s, aux journalistes, aux chercheuses et aux chercheurs et aux autorités fiscales les informations permettant de vérifier que les impôts sont bien payés là où ils doivent l’être. Il s’agirait d’un ensemble de données extrêmement utiles, en particulier au milieu académique et aux organisations internationales comme l’OCDE qui, jusqu’à ce jour, manquent cruellement de statistiques fiables en la matière. Cela permettrait aussi aux décideuses et aux décideurs politiques d’identifier et de corriger plus facilement les lacunes du système pour garantir la justice fiscale et mettre fin à la concurrence déloyale fondée sur l’abus du système.
C’est pourquoi, après l’adoption d’une position par le Parlement européen dès 2017, nous nous réjouissons que le Conseil ait, enfin, adopté sa position le 25 février dernier. Il s’agit d’une avancée majeure ouvrant la voie aux négociations interinstitutionnelles, puis à un accord final dans les mois qui viennent.
Si nous vous écrivons, c’est précisément pour vous faire part de nos préoccupations quant au niveau d’ambition de l’accord que nous devons trouver ensemble. La position adoptée par le Conseil, à de nombreux égards, n’est pas aussi ambitieuse que la position du Parlement européen. À titre d’exemple, alors que le Parlement défend une désagrégation des informations au niveau mondial (c’est-à-dire le fait de disposer des informations pays par pays à travers le monde), le Conseil défend, quant à lui, une désagrégation au niveau européen seulement (informations disponibles seulement pour les pays de l’Union européenne). C’est pourquoi nous vous encourageons à défendre une position ambitieuse dans le cadre des négociations interinstitutionnelles qui s’ouvrent, dans le but d’aboutir à un accord final à la hauteur des enjeux.
En particulier, nous avons connaissance du fait que le Gouvernement français défend une clause de sauvegarde qui, si elle était définitivement adoptée, affaiblirait considérablement l’ambition de la proposition législative. Cette clause, adoptée dans l’approche du Conseil, permettrait aux multinationales de ne pas dévoiler les informations demandées pendant une durée de six années, si ces informations peuvent porter préjudice à leur position commerciale. Il s’agit d’une faille majeure ouvrant la voie à de nombreux abus car, non seulement, la définition de ce qui pourrait porter préjudice est extrêmement vague, mais aussi, car ce risque n’est pas fondé. L’obligation de la présente Directive consisterait à publier des informations comptables basiques, telles que le nombre d’employé·e·s, le chiffre d’affaires, les bénéfices. Il ne s’agit pas de dévoiler des secrets commerciaux d’intérêt stratégique. Certaines multinationales ont, d’ailleurs, déjà fait le choix de publier ces informations, de manière volontaire. Il est donc temps de le généraliser et de le rendre obligatoire.
Ainsi, afin de faciliter un accord avec le Parlement européen dans les semaines qui viennent, mais surtout dans le but d’adopter un texte à la hauteur des enjeux, nous vous prions de modifier la position défendue, jusque-ici, par le Gouvernement français car elle nous semble ouvrir la voie à de nombreux abus et affaiblir considérablement l’exigence de transparence fiscale, pourtant indispensable. Nous espérons que vous partagerez l’objectif d’adopter un texte juridiquement solide, permettant de s’attaquer avec sérieux au fléau de l’évasion fiscale.
Nous vous remercions pour votre considération et vous prions de croire, Madame, Messieurs les ministres, en l’expression de nos salutations distinguées,
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